mardi 1 juillet 2008

Que boire au Kazakhstan ?


Située aux limites orientales du continent européen, la jeune République du Kazakhstan a un rapport ancestral avec les boissons traditionnelles que sont le lait et le vin. Aujourd'hui, ce pays s'approprie des habitudes nouvelles de boisson.

Il y a plus de trois millénaires, sous l'influence des «sakas» (scythes orientaux), les peuples de la steppe étaient déjà de grands buveurs de lait sous la forme de koumys, cette boisson fermentée à base de lait de jument que le moine franciscain Guillaume de Rubrouck, en route au 13e siècle vers Karakorum, capitale de l'Empire mongol, comparait au «vin de la Rochelle»: «Il (le koumys ) est frais et pique la langue...», écrivait-il dans sa chronique.


Les boissons traditionnelles au Kazakhstan

Cette véritable boisson nationale accompagne tous les repas de fêtes et aurait la vertu de maintenir en bonne santé! La fabrication du koumys repose sur de multiples méthodes, variant selon les saisons, et l'on continue de respecter les coutumes et les recettes des anciens textes pour l'obtenir. Au printemps, le premier lait de la jument auquel on aura ajouté des ferments est versé dans un récipient traditionnel, en peau ou en bois, et deux à trois jours plus tard, le koumys est prêt! Ce premier koumys de l'année est servi aux invités qui viennent présenter leurs vœux aux hôtes de la maison pour «Naouryz» (22 mars), fête du renouveau aux origines zoroastriennes, et répandue dans toute l'Asie centrale. Cette cérémonie se nomme «Koumys Murindyk».

Plus de quarante sortes de koumys, dit-on, sont répertoriées. Parmi elles, le jeune koumys, le «tai koumys», qui a deux à trois jours de fermentation, et le «berte koumys», très fermenté (quatre à cinq jours); le «sary koumys», consommé en automne, plus épais, est lui aussi paré de vertus médicinales. Il le fut d’ailleurs par Tolstoï lui-même!

Quel que soit le koumys, celui-ci doit être fréquemment remué dans son récipient avec une louche spéciale afin de garder une texture assez fluide. Finalement, le koumys reste volontiers, pour les Kazakhs, le symbole d'une certaine fierté nationale. D'ailleurs, ne rappelle-t-on pas que, dans les temps anciens, rendant visite au Khan, les invités apportaient entre autres cadeaux des quantités importantes de koumys?

Le «shoubat» est une autre boisson ancestrale. Ce breuvage traditionnel est le plus apprécié après le koumys. Il est obtenu à partir du lait de chamelle. Sa fabrication est plus simple et sa fermentation est appréciée après trois à cinq jours. L'ajout de lait de vache ou de brebis permet d'obtenir une boisson nommée le «katik», plus légère et aussi plus digeste, dit-on parfois. Toutes ces boissons sont consommées par rasades tout au long du repas.

Mais les peuples de la steppe vivant sur les piémonts des Tian Chan consomment aussi, depuis des siècles, des vins. Aussi, aujourd'hui encore, le Kazakhstan est producteur de vins recherchés en Asie centrale, comme le «bibigul» (le «rossignol»). Tous ces vins ont une teneur en alcool assez élevée, qui oscille entre 13 et 15 degrés. Quant au thé, évidemment, comme dans toute l'Asie, il est consommé en grandes quantités au Kazakhstan et la présence du samovar est répandue dans de nombreuses familles.


Consommation de boissons fortement alcoolisées sous l'influence européenne

C'est à partir du 19e siècle surtout que les peuples de la steppe, sous l'influence des habitudes venues de Russie, vont découvrir et s'adonner à la consommation de boissons fortes en alcool comme la vodka (40°) ou un type de «cognac» (42°). Comme en Géorgie en particulier, le Kazakhstan produit maintenant aussi en quantité d'autres vins et des «champagnes» très sucrés, conformément au goût local.

Avec l'absorption de boissons fortement alcoolisées qui accompagnent tout repas d'importance familiale, amicale voire protocolaire, tout un cérémonial autour de la boisson est scandé par un «Maître de cérémonie», en général l'hôte, nommé tamada au Kazakhstan, comme en Géorgie. Il organise et préside au déroulement de l'ensemble du repas. C'est lui qui désigne, après avoir prononcé son propre «toast», celui qui devra porter à son tour le sien. Ainsi, tous les convives prononceront le leur au moment choisi par le tamada. Entre les toasts, chacun peut se servir comme il le désire dans les nombreux plats disposés sur la table. Aux plats traditionnels à base de viande de cheval, de bœuf, de nouilles et de bouillon (le «bechbarmak» qui signifie les cinq doigts de la main en kazakh), s'ajoutent les beignets salés ou fourrés de viande ou de légumes («baoursaks», «samsas»), des fruits frais ou secs, des friandises diverses. Lors de mariages ou de rencontres exceptionnelles, le plat de «tête de mouton» suit un rituel très apprécié au Kazakhstan. Dans ce dernier cas, seules des personnes soigneusement choisies sont habilitées à découper cette pièce de viande devant l'ensemble des convives très attentifs.

Il est important de noter qu'au Kazakhstan, et d'ailleurs dans toute l'Asie centrale de même que dans le Caucase, porter un toast n'est pas une brève formalité et les paroles prononcées à ce moment ne doivent pas être trop convenues. En effet, dans un pays -surtout dans les milieux ruraux- où l'on est habitué depuis des siècles aux joutes poétiques et musicales, appelées «aïtys», le toast est l'occasion attendue pour développer et mettre en évidence des qualités oratoires d'improvisation. Des paroles bien senties porteront sur les hôtes et leurs proches, sur la situation qui a permis de se rencontrer, ou bien même sur le vaste monde... Il faut rappeler, à ce propos, que compte tenu de la notoriété culturelle dont bénéficie la France encore aujourd'hui dans l'ensemble de l'Asie centrale, les convives français se doivent alors de faire assaut d'élégance et de profondeur culturelle.

Enfin, dernier conseil, vu le nombre important de toasts qui seront portés: l'absorption de tant d'alcool pourrait avoir des effets dévastateurs. En conséquence, s’ il faut boire son verre après le premier toast, il suffit de tremper ses lèvres dans le verre après les suivants. Les serveurs, pas dupes, feront semblant de remplir le verre!


Une uniformisation de la consommation de boissons

Dans les pays d'Asie centrale, et au Kazakhstan en particulier, ouverts aux influences mondiales depuis plus de dix-sept ans maintenant, les habitudes alimentaires du monde dit occidental modifient fortement les consommations traditionnelles sans toutefois les faire disparaître. Ainsi, la vogue des «eaux minérales» se répand, en particulier celle des eaux gazeuses. Il en va de même des bières de toutes sortes, y compris de fabrication kazakhe. Par ailleurs, les sodas et autres boissons très sucrées ont dorénavant un grand succès, surtout auprès des jeunes qui s'identifient ainsi à la jeunesse mondiale et se fondent dans des habitudes gustatives nouvelles liées à des modes vestimentaires et musicales. Longtemps sevrées, ces populations ont désormais, à leur tour, une réelle soif de consommation, et c'est ainsi qu'aujourd'hui de grands vins prestigieux, français notamment, sont recherchés par une minorité privilégiée que l'on peut rencontrer surtout à Almaty ou Astana.

«...Si tu n'as pas, une fois, bu à une source
Si tu n'as pas voulu traverser l'océan...
Si tu n'es pas amoureux de cette vie jusqu'à la fin
Alors tu n'es pas digne d'être appelé poète!»[1]
[1] Nourlan Orazaline, poète kazakh invité en France lors du «Printemps des Poètes», 2008.


Par Albert FISCHLER, Professeur honoraire le 1er juillet 2008 sur Regard sur Est
Photo : Berthold Kemptner

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