dimanche 12 octobre 2008

Kazakhstan : Un Tsar est né

La désintégration de l’empire soviétique, en 1991, a ouvert une ère nouvelle en matière de relations internationales en Asie centrale. Les nouveaux États indépendants se sont subitement retrouvés confrontés à un double problème : affirmer haut et fort leur indépendance tout en maintenant des liens privilégiés avec les autres anciennes Républiques soviétiques. Deux voies s’offraient logiquement à eux. La première a consisté, pour certains, à chercher un contrepoids à la prééminence de Moscou, en approfondissant leurs relations avec la Chine, les États-Unis et l’Europe, ainsi qu’avec les principales puissances régionales.

Pour les autres, le chemin suivi s’est engagé en direction d’une coopération régionale renforcée, indépendante, autonome et, parfois, contraire aux intérêts des grandes puissances.

Selon la terminologie qui reflétait, dans les années 1920, à la fois la pratique des ethnologues soviétiques et la ligne politique des leaders moscovites, l’Asie centrale est composée du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan. Plus à l’ouest, le bassin de la mer Caspienne regroupe autour des trois Républiques transcaucasiennes - Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie -, le Kazakhstan, le Turkménistan et d’importantes portions des territoires iranien et russe. Ces deux zones sont géographiquement ancrées en plein coeur de l’Eurasie et la dernière décennie a clairement montré que d’autres acteurs, plus ou moins éloignés, ont une influence considérable sur la politique, l’économie et la sécurité de ces deux régions. Notamment l’Afghanistan, l’Inde, l’Iran, la Mongolie, le Pakistan et la Turquie.

La vague d’indépendances du début des années 1990 a contribué à rendre les relations régionales beaucoup plus complexes que du temps du « Grand Jeu » qui, au 19e siècle, opposait la Grande-Bretagne et la Russie dans la maîtrise du Caucase et de l’Asie centrale. A cette époque, Moscou et Londres régnaient en maîtres. Russes et Britanniques pouvaient alors se permettre, si ce n’est de contrôler étroitement les acteurs locaux, de les ignorer superbement. L’irruption de nombreux intervenants extérieurs à la région, la multiplication des sources de conflits d’intérêts et la formation temporaire d’alliances de circonstance n’ont, en rien, simplifié les choses. Bien que la Chine, les États-Unis, l’Europe et la Russie aient une influence substantielle sur les développements régionaux, ces pays ne peuvent plus, comme par le passé, dicter leur volonté.

Depuis son indépendance, en 1991, et plus précisément depuis le début des années 2000, le Kazakhstan a entamé une profonde mutation qui constitue un cas d’espèce au sein des anciennes Républiques socialistes soviétiques. En un peu plus d’une décennie, ce pays peu industrialisé et essentiellement agricole, a effectué un formidable bond en avant. Il apparaît maintenant comme l’un des acteurs majeurs sur la scène centrasiatique.

En raison de sa position géographique privilégiée - à la fois en Asie centrale et rattaché au Bassin de la mer Caspienne -, de la taille de son territoire, de ses ressources énergétiques considérables, d’une relative stabilité politique et sociale, de sa décision, ferme et résolument maintenue, de l’ouverture à l’économie de marché et d’une diplomatie équilibrée et nuancée, le Kazakhstan s’est rapidement affirmé comme le leader naturel de cette deuxième voie. Retour sur une « success story », unique en son genre pour un ancien pays du bloc soviétique.

1. Une prudente diplomatie…

Sous la férule de son président, Noursoultan Nazarbaïev, le seul dirigeant avec son homologue ouzbek, Islam Karimov, à être, sans interruption, en fonctions depuis 19901, le Kazakhstan s’en est tenu à une politique étrangère « tout azimut » visant à maintenir de bonnes relations politiques et économiques avec la Chine, les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et la Russie ainsi qu’avec d’autres pays de premier plan. Noursoultan Nazarbaïev et son équipe ont constamment veillé à se tenir éloignés des sables mouvants et des mirages de la diplomatie centrasiatique qui ont conduit le Turkménistan de feu Saparmourad Niazov à un isolationnisme exacerbé et qui ont englué le grand rival voisin qu’est l’Ouzbékistan.

En 2004, le ministre kazakh des Relations étrangères, Kasymzhomart Tokaïev, qualifiait cette « politique équilibrée et multidimensionnelle » de « nécessité objective2 ». Une telle justification - « limiter nos relations avec certains pays de la région reviendrait à saper nos intérêts nationaux » - aura, parfois, agacé Moscou (sur le plan de l’initiative transcaspienne) et irrité Washington (dans le domaine des relations avec Téhéran).

Cette politique, qui peut s’assimiler à un exercice d’équilibriste sur corde raide, s’est traduite, dans les faits, par un rôle important au sein des plus importants programmes multinationaux eurasiatiques. Malgré certaines frustrations, le gouvernement kazakh est resté un partenaire loyal de la Communauté des États indépendants (CEI) et il figure en bonne place au rang des pays fondateurs de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). Les officiels kazakhs se sont toujours faits les avocats de la Communauté économique eurasiatique, en particulier dans le domaine de la gestion de l’eau et celui de la standardisation des politiques tarifaires et douanières. Désireux de prendre une part importante au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), ils ont jalousement veillé à ce que cette entité ne se transforme pas en un outil ouvertement anti-américain. Ils se sont également, plus que tout autre pays de la région, engagés dans un dialogue poussé avec l’OTAN. Enfin, pour l’Union européenne, le Kazakhstan est un partenaire clé dans le domaine du partenariat stratégique en matière énergétique ainsi que dans celui des efforts d’intégration régionale.

Ainsi auréolé d’un « certificat de bonne conduite » en matière de coopération et de relations internationales ou régionales, le Kazakhstan s’affirme rapidement comme un futur géant qui entend tenir un rang de leader régional et d’acteur incontournable au niveau international. C’est dans cette optique qu’il développe sa vision, à moyen terme, d’une Asie centrale revigorée et sûre d’elle-même.

2. et un projet ambitieux

Dès mars 1994, le président Nazarbaïev lance l’idée d’une Union eurasiatique. Mais ce plan ne reçoit aucun appui ou encouragement de la part des autres États nouvellement indépendants. Venant, à grand peine et parfois dans la douleur, de se débarrasser des pesanteurs du système soviétique, ils étaient, en effet, peu désireux de s’engager dans une union imprécise qui leur faisait craindre une nouvelle dépendance. En avril 2007, il relance cette idée avec pour objectifs la gestion commune des frontières et des ressources aquifères3.

L’idée est simple : il s’agit de démontrer que l’Asie centrale est capable de s’assumer par elle-même, sous peine de la voir, en redevenant le pré carré et le jouet de puissances extérieures, tenir un second rôle peu enviable.

La réalisation de cette Union des États centrasiatiques représenterait assurément le point d’orgue des efforts d’Astana en vue du renforcement de l’autonomie régionale et de l’approfondissement du processus d’intégration locale. L’idée du président Nazarbaïev est la mise sur pied d’une union indépendante des autres organisations existantes comme l’OTSC ou comme l’OCS, et dont, ni la Chine, ni la Russie, ni aucune autre grande puissance ne seraient membres, même à titre d’observateurs.

Les experts kazakhs considèrent que l’intégration fait partie d’un processus naturel qui, par le passé, a été souvent ralenti ou paralysé alors que tout devrait pousser les pays d’Asie centrale à s’entendre. Depuis la chute de l’URSS, les pays centrasiatiques ont souvent éprouvé de nombreuses difficultés à coopérer. Ils ont tous, en commun, des litiges en matière de frontières, d’échanges commerciaux, de visas, de transports et de communications, d’immigration illégale et de ressources naturelles telles que le gaz et le pétrole. Malgré tout, le besoin de solidarité et de sécurité se montre le plus fort. C’est ainsi que les gouvernements centrasiatiques ont, en mai 2005, resserré les rangs derrière les autorités ouzbekes, après les évènements tragiques d’Andijan.

Pour qu’une telle union soit viable, ses partisans arguent du fait qu’elle devrait cibler les domaines suivants : le partage des ressources énergétiques et aquifères, l’amélioration du réseau régional de communications et de transports, la résolution des litiges frontaliers, un accord sur les tarifs commerciaux, la mise en place de mécanismes collectifs pour faire face aux menaces environnementales et aux catastrophes naturelles et le développement d’une véritable industrie régionale du tourisme4. Plus généralement, les partisans de cette union envisagent, in fine, une union économique et douanière.

La crainte de voir l’instabilité des pays voisins se propager par delà les frontières – soit, directement, par l’afflux massif de réfugiés, soit, indirectement, par les atermoiements des investisseurs étrangers - incite les dirigeants kazakhs à favoriser l’intégration régionale. En dépit des récents efforts kazakhs pour diversifier les partenariats commerciaux, l’économie du Kazakhstan dépend encore pour beaucoup des capitaux et de la technologie de compagnies étrangères5. Pour de nombreux experts, la résolution des différends régionaux, une meilleure exploitation des ressources naturelles et la réaffirmation du rôle pivot de l’Asie centrale en matière de carrefour énergétique entre l’Europe et l’Asie passent par une plus grande coopération. Sur le plan sécuritaire, une collaboration renforcée est nécessaire pour contrecarrer les groupes criminels et le terrorisme transnational ainsi que pour tirer le meilleur profit des atouts économiques dont bénéficient le Kazakhstan et ses voisins.

En réduisant les tensions interrégionales par la promotion d’une plus grande intégration économique, ces pays deviendront plus attractifs pour les capitaux étrangers6 et ils disposeront de plus de poids dans leurs relations avec les acteurs extérieurs.

3. Les atouts économiques …

Grâce à ses richesses naturelles et à une politique avisée, le Kazakhstan possède l’économie la plus en pointe d’Asie centrale. Son PIB est supérieur au PIB combiné de tous les autres pays de la région et il est estimé, pour 2007, à plus de 113 milliards d’euros. L’administration encourage ses citoyens sur la diversification du commerce régional et international afin de réduire, autant que faire se peut, sa dépendance en matière de fournisseurs, de clients ou de marchés. Cette politique économique s’accompagne d’une vision ambitieuse. En 2005, le président Nazarbaïev déclarait aux participants d’une conférence internationale sur le thème « Stratégie du Kazakhstan à l’horizon 20307 » qu’il voyait en son pays « un trait d’union, un intégrateur des liens économiques interrégionaux, le centre de gravité des investissements et des capitaux financiers et un centre d’attraction pour les plus grandes firmes mondiales qui souhaitent s’implanter sur le marché centrasiatique ». Et il ajoutait que son pays pouvait parfaitement remplir sa fonction « de lien, de pont économique transcontinental entre l’Europe et les zones Pacifique et Sud du continent asiatique ».

Depuis 2006, le président Nazarbaïev ne cesse de répéter sa volonté de propulser le Kazakhstan parmi les 50 pays les plus développés au monde. En octobre 2007, il annonce son intention de mettre sur pied un « axe de communications qui relierait Golfe persique et mer Baltique au moyen de voies ferrées, d’autoroutes, de pipelines, de gazoducs et de lignes de transport d’électricité8 ». Le 22 du même mois, lors d’une conférence à Washington, l’ambassadeur du Kazakhstan aux États-Unis, Erlan Idrissov, déclare que depuis l’indépendance, son pays « n’a jamais considéré comme une malédiction son statut de pays enclavé » mais qu’au contraire il s’en est servi « comme d’un atout maître pour pousser à l’intégration régionale ». Et d’ajouter que son pays ne « peut pas prospérer s’il n’est pas entouré de pays tout aussi prospères9 ». En février 2008, Nazarbaïev réaffirme cette volonté.

Pour lui le Kazakhstan est destiné à devenir une « locomotive régionale pour le développement économique10 ».

La formidable croissance économique du Kazakhstan durant la dernière décennie - après une période de convalescence consécutive à l’écroulement de l’empire soviétique et grâce au rebond du prix du pétrole - lui a permis de devenir le premier des anciens pays du bloc soviétique à se voir attribuer, par les agences internationales de cotation, une note positive en matière d’investissements et de solvabilité. Le boom macroéconomique a permis aux autorités, au début des années 2000, d’apurer les dettes contractées auprès du FMI. Si les formidables revenus des ressources énergétiques ont permis cette embellie, les autorités ont, cependant, sagement entamé de profondes réformes en matière de marchés.

Réalisant qu’ils ne pouvaient pas éternellement compter sur les seules exportations d’hydrocarbures, les dirigeants kazakhs se sont résolument orientés vers une diversification des marchés, tant en matière de produits qu’en matière de partenaires. Un élément important de cette stratégie a été, en 2001, la création d’un fonds national, placé sous l’autorité directe du président Nazarbaïev et alimenté par les taxes d’exportations. Se chiffrant maintenant à plusieurs milliards d’euros, ce fonds est utilisé par les autorités gouvernementales pour financer des projets d’envergure socioéconomiques en-dehors du domaine énergétique.

et les atouts énergétiques

Les exportations de pétrole contribuent pour plus de la moitié aux revenus du Kazakhstan. Sur les 1,45 millions de barils/jour produits, 1,2 sont vendus à des acheteurs étrangers11. Selon les experts américains, le Kazakhstan possède les plus importantes réserves du bassin de la Caspienne12. Les estimations les évaluent au niveau de l’Algérie (9 milliards de barils) ou à celui de la Libye (40 milliards de barils). Ce qui rend ces ressources pétrolifères intéressantes pour la communauté internationale c’est qu’elles se situent au coeur du réseau des pipelines et gazoducs, actuels et futurs, qui traversent ou traverseront l’Eurasie. Les dirigeants kazakhs se sont toujours déclarés favorables à la diversification des voies d’exportations du pétrole et, dans un proche avenir, à celles du gaz. Cette approche tout azimut prévoit un trajet occidental en direction du sud Caucase et de la Turquie, un trajet oriental vers la Chine, via les autres Républiques centrasiatiques et un éventuel trajet méridional vers les marchés de l’Asie du sud via l’Iran. En avril 2007, le président Nazarbaïev expliquait cette approche pragmatique par des considérations économiques13. En résumé, les exportations du Kazakhstan emprunteront la voie la plus lucrative, que celle-ci soit occidentale, russe, iranienne ou chinoise.

Les officiels kazakhs sont conscients des dangers que représentent des exportations exclusivement tournées vers les réseaux russes, comme c’est le cas actuellement. C’est pourquoi, forts de cet atout que constituent les pipelines et gazoducs du futur, ils ont obtenu, avec l’Ouzbékistan et le Turkménistan en mars dernier, du géant gazier russe Gazprom, des prix de vente considérablement revus à la hausse pour 2009.

Par ailleurs, il semble bien que, sur un plan tout aussi pragmatique, les autorités kazakhes aient décidé de reprendre peu à peu le contrôle des compagnies pétrolières et gazières opérant sur leur territoire. Le 9 juillet dernier, les autorités annoncent que la compagnie nationale, le géant KazMunayGaz (KMG) a pris, à hauteur de 51%, le contrôle de MangystauMunayGaz (MMG), de la compagnie indonésienne Central Asia Petroleum, le plus gros producteur actuel au Kazakhstan14.

4. Quelques ombres au tableau

a) Démocratie et droits de l’homme

Le bilan flatteur du Kazakhstan sur le plan économique ne doit pas faire oublier que ce pays souffre d’un déficit démocratique inquiétant et que les droits de l’homme figurent au rang des oubliés du progrès. Avec les autres républiques d’Asie centrale, le Kazakhstan se classe, avec une constance qui ne se dément pas au fil des ans, parmi les plus mauvais élèves des palmarès mondiaux en la matière.

Aucun des scrutins organisés sous la présidence de Nazarbaïev n'a jamais été jugé libre et équitable par l'OSCE. En 2007, il a renforcé sa mainmise sur le pays en obtenant le droit de se maintenir au pouvoir à vie et en organisant des élections législatives au cours desquelles son parti a remporté la totalité des sièges. Même si un tel résultat a laissé sans voix les analystes politiques et plongé dans la perplexité les observateurs internationaux, ce qu’il démontre malgré tout, c’est la confiance que les Kazakhs15 accordent à leur président en tant que leader national. Ils lui sont gré, en 16 ans à la tête du pays, d’avoir habilement négocié le virage de l’indépendance, d’avoir maintenu l’unité du pays, tant territoriale que nationale, et d’avoir, jusqu’à présent, empêché le développement des mouvements nationalistes ou communautaristes16.

Balayant d’un revers de main les critiques qui se sont élevées à l’issue de ces élections législatives, Nazarbaïev estime qu’un tel résultat constitue « une formidable opportunité pour l’adoption des lois nécessaires à l’accélération de la modernisation de la politique et de l’économie nationale17 ». Un conseiller politique de Noursoultan Nazarbaïev avait déclaré en juin dernier que le pays pourrait organiser des élections anticipées l'an prochain en autorisant une participation plus large des partis d'opposition. Le but était d'offrir des gages de pluralisme à l'Occident alors que le Kazakhstan s'apprête à prendre la présidence tournante de l’OSCE.

Le 2 septembre dernier, Noursoultan Nazarbaïev a exclu fermement cette éventualité. « Il n'y a aucune raison légale ou politique à l'organisation d'élections anticipées … celles-ci auront lieu, comme le prévoit la constitution, en 201218 », a-t-il déclaré lors d'une session parlementaire.

Bien que la loi garantisse la liberté de la presse, les médias indépendants sont menacés et poursuivis pour leur liberté de ton envers le président et le gouvernement. Les journalistes courent de sérieux risques. L’ONG Human Rights Watch note que depuis 2002, six journalistes indépendants ont trouvé la mort dans des circonstances mystérieuses et troublantes ou ont disparu sans laisser de traces. De nombreux sites Internet font l’objet de censure, de suspension d’activité ou de fermeture pure et simple.

b) La menace indépendantiste

Les dirigeants kazakhs ont conscience que la grande diversité ethnique de leur population vulnérabilise leur pays. En 1989, le dernier recensement de l’époque soviétique mentionnait 40% de Kazakhs contre 44,6% de nationaux d’origine slave (38% de Russes, 5,5% d’Ukrainiens et 1,1% de Biélorusses).

Le départ volontaire de nombreux slaves (selon le recensement de 2007, ils ne seraient plus que 30%), un taux de natalité soutenu parmi les Kazakhs (toujours selon le même recensement, ils seraient maintenant près de 60%), le retour au pays de nombreux immigrés, une politique linguistique tolérante et une économie florissante ont contribué à apaiser les tensions19.

Aujourd’hui, les quatre millions de Russes (sur les six millions de 1989) contribuent pour une bonne part au développement économique du pays et ils profitent des nombreuses avancées socio-économiques. Beaucoup appartiennent à la classe moyenne émergente, au même titre que de jeunes entrepreneurs kazakhs qui se sont lancés avec succès dans les affaires grâce à une politique favorable du gouvernement. Aucune ethnie ne peut se prévaloir d’occuper une position prédominante dans aucune des classes sociales du Kazakhstan.

Malgré tout, quelques observateurs semblent redouter les velléités indépendantistes de certaines provinces du Nord, à forte majorité slave. Ces craintes ont d’ailleurs été récemment relancées en raison du conflit russo-géorgien20. La justification russe pour son intervention en Géorgie - il s’agissait de porter secours à des citoyens russes menacés, c’est-à-dire à des Ossètes porteurs de passeports russes - a de quoi faire réfléchir les autorités kazakhes.

Malgré le fait que la constitution du pays ne reconnaisse pas la double nationalité, une majorité écrasante des slaves des provinces du nord possède un passeport russe ou sont sur le point d’en obtenir un21. Beaucoup se considèrent avant tout comme des citoyens russes et ils n’envisagent leur avenir et celui de leurs enfants qu’avec la Russie.

5. Le couronnement de 2007

La décision de novembre 2007 de confier la future présidence 2010 de l’OSCE au Kazakhstan consacre l’importance croissante de ce pays en Eurasie22. Tout en reconnaissant qu’il a encore des progrès à faire en matière de standards de démocratie et des droits de l’homme, de nombreux gouvernements occidentaux espèrent que cette présidence encouragera de nouveaux progrès et qu’elle donnera un coup de fouet à l’influence de l’OSCE au sein de l’ancien bloc soviétique.

Pour les autorités kazakhes, cette future responsabilité au niveau international est la reconnaissance de leurs réformes économiques et politiques, de leur rôle de leaders au niveau centrasiatique et de leur contribution en tant que passerelle entre les anciennes Républiques soviétiques et d’autres pays membres de l’OSCE. Pour Noursoultan Nazarbaïev, cette distinction s’apparente à un couronnement de Tsar.

C’est tout du moins l’impression qui se dégage des dernières déclarations des officiels kazakhs, le 22 juillet dernier, devant le congrès américain. Répondant aux critiques qui lui étaient adressées sur le processus de démocratisation dans son pays, Askar Tazhiyev, chargé d’affaires auprès de l’ambassade du Kazakhstan aux États-Unis et futur ambassadeur itinérant du Kazakhstan en charge du dossier de l’OSCE, a vertement répondu à ses détracteurs américains23. Selon lui, il est « particulièrement vexant d’entendre continuellement la mise en doute de la sincérité de son pays ». Il a tenu à réaffirmer, devant son auditoire, que le Kazakhstan poursuivrait sa politique de modernisation selon « son propre calendrier et en dehors de toutes pressions d’où qu’elles viennent ».

Un peu à la manière des autorités chinoises qui s’étaient vues attribuer l’organisation des jeux Olympiques de 2008 grâce à des promesses de libéralisation et de démocratisation, les autorités kazakhes ont promis à la conférence de Madrid, en novembre 2007, en échange de l’attribution de la présidence de l’OSCE, d’adopter un certain nombre de réformes clés avant la fin 2008. Elles n’auront pas tardé à rappeler, à la face des dirigeants du monde occidental, qu’elles restaient maîtresses de leur agenda.

6. Conclusion

Noursoultan Nazarbaïev a fait, au cours des 17 dernières années passées au pouvoir, preuve de pragmatisme, de flexibilité et d’intuition dans le délicat et difficile domaine des relations avec la Russie et les puissances occidentales. Il a, jusqu’à présent, réussi un brillant parcours économique. Il a habilement négocié le virage de la mise de valeur et de l’exploitation des vastes réserves d’hydrocarbures dont son pays regorge, sans pour autant s’attirer les foudres d’un Kremlin toujours prêt à jalousement rappeler qu’il a toujours considéré l’Asie centrale comme son terrain de manoeuvres favori.

Les évènements des dernières semaines dans le Caucase du sud - conflit russo-géorgien – et toutes les conséquences qu’il laisse entrevoir, lui démontrent, s’il en était besoin, qu’il ne peut s’offrir le luxe de dévier d’un pouce de cette prudente stratégie.

Par le lieutenant-colonel (e.r) Renaud FRANÇOIS
Chercheur associé à l’ESISC
Le 12 octobre 2008 sur http://www.esisc.eucopyright/
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1 Président du Conseil des ministres de la République socialiste soviétique kazakhe de 1984 à 1989 et premier secrétaire du Parti communiste kazakh de 1989 à 1991, il est élu président du Kazakhstan le 24 avril 1990.

2 http://www.eurasianet.org/departments/business/articles/eav030304..shtml

3 http://www.cacianalyst.org/?q=node/4604

4 http://www.kisi.kz/site.html?id=1788

5 http://www.eurasianet.org/departments/business/articles/eav040606..shtml

6 http://www.kisi.kz/site.html?id=5369

7 http://www.akorda.kz/www/www_akorda_kz.nsf/sections?OpenForm&id_doc=DE8&lang=en

8 http://www.rferl.org/content/article/1078873.html

9 http://www.carnegieendowment.org/files/ConferenceReport.pdf

10 http://www.akorda.kz/www/www_akorda_kz.nsf/sections?OpenForm&id_doc=0793&lang=en

11 http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/Kazakhstan/Oil.html

12 http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/Kazakhstan/Background.html

13 http://www.eurasianet.org/departments/insight/articles/eav041807a..shtml

14 http://www.eurasianet.org/departments/business/articles/eav072208..shtml

15 Officiellement, les habitants du Kazakhstan s'appellent en français des Kazakhs. Il est à noter que cette appellation recouvre en fait deux termes distincts : celui de « Kazakh(e) » et celui de « Kazakhstanais(e) », auxquels correspondent deux réalités différentes. Le terme de « Kazakh(e) » désigne exclusivement les membres de l'ethnie « Kazakhe ». Le terme de « Kazakhstanais » désigne tous les citoyens du Kazakhstan, quelle que soit leur appartenance ethnique.

16 Le Kazakhstan abrite près d’une centaine d’ethnies sur son territoire.

17 http://hrw.org/englishwr2k8/docs/2008/01/31/kazakh17749.htm

18 http://kazakhstan.neweurasia.net/2008/09/04/no-elections-president-says/#more-626

19 http://www.kazakhembus.com/042007.html

20 http://www.rferl.org/content/Article/1192632.html

21 Avec la simplification récente des procédures de distribution des passeports russes - sur simple demande, tout ancien citoyen soviétique peur s’en voir attribuer un - ce phénomène devrait rapidement s’amplifier.

22 http://www.osce.org/documents/mcs/2007/12/28637_fr.pdf.

23 http://www.eurasianet.org/departments/insight/articles/eav072508.shtml

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